lundi, mars 19, 2007

Et après?

Je me suis aussi souvent posé cette question : qu’est-ce que la littérature ? J’ai aussi lu l’ouvrage de Sartre et d’autres dont l’engagement n’est pas à démontrer comme ceux de Lénine et plus tard je suis allé voir ce qu’en disaient Barthes, Foucault et d’autres encore.

Ce matin comme tous les lundis matin je me suis plongé dans le Monde des livres et en particulier dans le dossier : Politique et littérature consacré à Jacques Rancière. Soit, je sais que je n’achèterai pas ce livre, que je n’en lirai que les extraits et les interprétations qu’en feront ici et là les commentateurs et les critiques. Chez Rancière il est naturellement beaucoup question de Flaubert, vu que l’Idiot de la famille de Sartre c’est près de deux milles pages et là c’est trop et je n’ai jamais eu le courage de le commencer. A priori j’adhère à ses propos pour quelques courtes raisons de choix que je prends ici.

Rancière avait le choix entre deux façons antagonistes d’envisager la littérature. Soit comme une parole qui transcende les conditions matérielles de son énonciation et se propose en dernière analyse comme la voix même de l’Etre, qui est l’option métaphysique de Heidegger, Soit au contraire, insistant sur l’ancrage nécessaire de la littérature dans l’existence concrète, on la saisit comme l’expression historiquement située d’un rapport singulier au langage et au monde ; c’est là le choix que fait Rancière. C’est également celui que j’aurais fait et que j’ai toujours fait, parce que « la littérature ne saurait se séparer des systèmes idéologiques » (fut-elle blanche) « au sein desquels ou même contre lesquels elle se forme. Elle est engagée malgré elle. Qu’ils le veuillent ou non, les plus farouches partisans de l’art pour l’art expriment encore une vision particulière du monde et de la cité. » « Vision démocratique, mais aussi matérialiste ». Et pour en finir avec les autres, je relève encore un propos de Be noît Denis : « … l’écrivain engagé, quelle que soit la manière dont il se positionne est toujours conduit à se faire le théoricien de sa pratique. »

C’est peu dire que je suis au diapason de ces quelques présupposés. Parce que je n’ai jamais lu un seul livre en vers et en prose, roman ou essais, de philosophie ou de biologique voire de mathématiques sans y déceler ce positionnement idéologique et parce que mes propres romans désormais datés et abandonnés à la critique rongeuse des souris n’étaient en somme rien d’autre que d’emmerdantes théorisation de ma propre pratique de l’écriture, ce qui a dû rebuter maints lecteurs des comités de lecture des maisons d’éditions auxquelles je les avais un peu désinvoltement fourgués.

Evidemment confronté à mes échecs j’ai fini par me demander tout de go à quoi sert la littérature, tant du point de vue de celui qui écrit que de celui du lecteur. Vaste question que j’ai résolue en trois coups de cuillère à pot, en un mot comme en cent : au plaisir. Que l’on souffre comme un martyre en écrivant, que l’on sue, que l’on s’angoisse de la page blanche et du reste, pour jouir rien n’est jamais trop cruel et destructeur. Pour être aimé ou détesté, reconnu d’une façon ou d’une autre il faut payer de sa personne. Pour laisser une trace de soi, fut-elle une traînée de merde aucun sacrifice n’est trop demandé et encore moins si on a la prétention de dire le monde, les hommes et les choses tels qu’ils sont vraiment. Au font, on arrive par ici à la définition de la littérature selon Heidegger, cette prétention on voudrait inconsciemment qu’elle soit la voix de l’Etre. Je l’être de celui qui écrit, son être profond où se confondent le moi conscient et l’inconscient, pas l’être de l’étant ni l’être comme dieu créateur parce de créateur il n’y a que l’homme et son imagination et son système nerveux tout entier engagé dans le monde, jeté, comme disait Sartre. Et l’écrivain comme les autres ne cesse de jeter cette image de lui-même et dans tous ses livres c’est toujours aussi l’éternel retour du même, du moi-même qui dit ; visez comme je suis laid, beau, grand et intelligent et ceci et cela. Et pour le lecteur c’est idem, le plaisir de rencontre le même dans la laideur et la beauté, la bêtise et l’intelligence parce que les hommes tous aussi différents qu’ils soient les uns des autres sont quand même tous semblables. C’est pourquoi il est facile de s’identifier à n’importe quel héros, penseur, philosophe et autres. Je ne suis pas certain que ce soit Piaget qui ait que lorsque l’on lit Kant on est tous kantiens. Mais moi je sais que non seulement je me suis senti kantien en le lisant, mais Kant et lisant Kant et Hegel en lisant Hegel et Marx en lisant Marx. Soit, quelle prétention ! Mais quand nous détestons, ou plutôt, quand moi je déteste un livre je n’ai pas le temps de choisir l’autre-même en moi, d’en appeler à celui-ci ou celui-là parce qu’en général je ne lis pas longtemps. Je jette l’ouvrage comme je chie, je l’évacue. Pire, parce que quand je chie, là j’ai encore du plaisir. Et je crois que c’est Deleuze dans l’anti-Œdipe qui écrivais : l’esprit chie. Et c’est vrai, je jette un ouvrage parce qu’il pue et le dernier dans lequel j’ai senti une puanteur c’est dans l’Atlas de la création. C’est une vraie odeur physique, matérielle. Il m’a suffit de quelques pages, ce fut comme si j’avais ouvert les égouts de toutes villes du monde.

Mais pour en revenir à la littérature, et tout est littérature, il faut bien aussi se poser la question de son utilité. Eh bien elle est utile comme le plaisir est utile et même nécessaire comme le goût et l’odeur de la merde sont utiles au plaisir des scatos. Elle induit comme le monde qui nous cerne des émotions, des sentiments esthétiques physiques et intellectuels. La manière dont elle accède aux plus intimes et profondes représentations que nous avons du monde et de nous-même elle ne peut que nous affecter au-delà de la raison, c'est-à-dire le plus superficiellement possible et c’est cela que pour ce qui est de changer quoi que ce soit, fut-ce soi-même ou le monde elle inutile. Je n’ai jamais changé d’opinion à cause d’une lecture. Marx disant ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. La vie concrète, celle banale de tous les jours.

Il fut un temps où, pour argumenter mes propos j’allais puiser dans ma bibliothèque, citant à tout bout de champ les grands auteurs qui font autorité, les Maîtres penseurs comme disait l’autre, foutu partisan de Sarko, seulement, à force d’avoir vadrouiller de-ci de-là j’ai dû me débarrasser d’environ deux milles ouvrages et comme le reste est entassé parterre je n’ai plus le courage ni l’envie d’aller à la pèche. Les livres c’est trop lourd. Il y a sept ans je me promenais encore au Mexique avec dix kilos de bouquins dans un foutu sac de sport et je n’ai même pas songé en m’en débarrasser comme Pépé Carvalho… Quel con !

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