lundi, mai 28, 2007

Ellroy 2 Kundera.

Je ne résiste pas au plaisir de copier cet article de Milan Kundera, relatif au dernier livre de Salman Rushdie : « Le Dernier Soupir du Maure ».

Le surpeuplement distingue notre monde de celui de nos parents ; toutes les statistiques le confirment, mais on fait semblant de n’y voir qu’une affaire de chiffres qui ne change rien à la vie humaine. On ne veut pas admettre que l’homme perpétuellement entouré d’une foule ne ressemble plus ni à Fabrice del Dongo, ni aux personnages de Proust. Ni à mes parents qui, jadis, pouvaient encore flâner sur le trottoir, la main dans la main. Aujourd’hui, vous descendez de votre appartement pour être immédiatement emporté par la foule qui coule dans la rue, dans toutes les rues, sur les routes et les autoroutes « vous vivez écrasés au sein d’une folle multitude » et « votre propre histoire doit se frayer un chemin dans la masse ».

Mais qu’est-ce que la foule ? Pour moi ce mot est lié à l’imaginaire socialiste, d’abord dans le sens positif, la foule qui manifeste, fait la révolution, fête la victoire, puis dans le sens négatif, foule des casernes, foule disciplinée, foule mise au pas et, à la fin, foule de goulag. L’homme appartenant à cette foule a peu de possibilités épiques ;Peu d’occasions d’agir : ses petits gestes surveillés n’ont aucune chance de mettre en branle une suite d’événements s’enchaînant en aventure. Ce monde sans aventure, le monde anti-épique où l’homme perd toute individualité et n’a aucune liberté d’agir, a été pendant longtemps ma seule image de la fin de l’homme, de l’apocalypse.

La foule dans les romans de Rushdie a un caractère différent, voire opposé ; c’est une foule hors de tout ordre, libre, affreusement libre, active, entreprenante, maffieuse, comploteuse, inventive ; dans les romande Rushdie, tout est inattendu, burlesque ou fou ; on se trouve dans une perpétuelle hyperbole épique qui, du point de vue de l’esthétique flaubertienne ou proustienne, semble transgresser les normes et le bon goût. Mais cette affabulation hypertrophiée n’est pas un artifice, elle reflète le caractère de la vie qui a changé. A la folie du surpeuplement, l’auteur ajoute l’ivresse de sa propre imagination, qui n’est grisée que de la réalité même.

Dans la foule de Rushdie, chacun sauvegarde sa liberté et les flics eux-mêmes n’obéissent pas à leurs supérieurs mais à l’argent des maffiosi qui les manipulent avec une irresponsabilité enjouée. Et voilà le scandale ; les personnages de Rushdie sont on ne peut plus vivants, originaux, pittoresques, charmants ; derrière chacun d’eux il y a une biographie riche, pleine d’événements : ils irradient une extraordinaire beauté épique ; - si bien qu’on ne se rend pas compte que cet éblouissant geyser épique est le geyser du mal.

Il faut admettre l’inadmissible : ces fleurs du mal sont les fleurs de la liberté. Quand Maure Zogoïby, vers la fin du roman, s’envole pour l’Espagne, la marmite du monde surpeuplé éclate ; dans les fumées et les flammes, Bombay au-dessous de lui commence à vivre son apocalypse ; et ce ne sont pas fanatiques qui s’affrontent ; ni la lourde ombre du goulag qui s’abat sur la ville ; c’est la joyeuse liberté de créer des richesses et de les détruire, la liberté d’organiser des bandes tueurs et de massacrer les ennemis, la liberté de faire exploser les maisons et d’anéantir les ville, c’est la liberté avec des milliers de mains sanglantes qui est entrain de mettre le feu au monde.

Toute cela n’est pas une prophétie ; les romanciers de sont pas prophètes ; l’apocalypse du Dernier Soupir du Maure, c’est notre présent, l’une de ses possibilités qui nous guette de son abri, qui nous observe, qui est là.

Voilà. Pour ma part je viens juste de terminer American death trip de Ellroy. C’est une histoire de l’Amérique des années soixante qui retrace les complots qui ont entraîné les assassinats de JFK, RFK et M.L. King. Et c’est exactement une description des méfaits de ce que les Américains nomment la liberté. Du plus haut niveau de l’Etat aux bas-fonds de la société ça complote, ça tortue, ça assassine dans un monde ou le profit et la haine, LA HAINE HAINEUSE sont les deux seuls moteurs qui tournent à plein régime. Haine des nègres, haine des blancs, haines des communistes, haine des juifs, haine viets, une HAINE ENOOOOORME !!! Enorme. Comme chez Conrad Joseph la haute société tombe amoureuse de ses propres bas-fonds et le criminel se sent élevé en vertu du savoir-vivre, le raffinement, ce contraste entre la brutalité des crimes et la manière de les perpétrer qui devient le terrain d'une profonde entente entre lui-même et le parfait gentleman. Cette connivence historique de plus en plus affirmée entre les classes supérieures et les criminels.

Petit extrait de haine banale communément répandue.

« Des putes mexicaines immigrées illégalement ? Merde. Tous les immigrés clandestins sont des putes.

Ils franchissent la frontière. Ils piquent leur boulot aux gens du coin. Ils travaillent pour trois fois rien. Ils font des mômes à foison. Ils ne vivent que pour baiser. Ils se reproduisent comme des lapins. Ils ramassent les récoltes. Ils touchent leur paye – et alors, ils baisent de vraies putes. Les maquereaux mex maquereautent des putes mex – les jours de paye, ça copule partout, ça copullule.

Ils envahissent les hôtels. Ils baisent à la chaîne. Ils prolifoutent. Allez au Sun-Glo. Allez au Vista. Vous verrez le tableau. Le jour de paye, c’est demain – les mex se multiplient, vous allez voir. »



C'est du Céline, non?



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