samedi, mai 19, 2007

Merde.

Ce dimanche matin je vais feindre de remarquer que j’use constamment du mot merde. Il vient à tout bout de champ, en somme quotidiennement comme l’envie de chier, comme une donnée qui serait un rendu, à la nature naturellement. Tout cela n’est pas innocent. Surtout lorsqu’on ne peut s’empêcher d’éprouver du plaisir en accomplissant cette fonction. Fonction naturelle qui est comme le substrat sur lequel s’élabore le langage, l’oralité. Jusqu’ici rien de nouveau. Je prétends seulement que le plaisir qu’éprouve l’enfant à articuler et à maîtriser le langage, la parole est concomitant au plaisir qu’il éprouve en faisant caca et à la frustration aussi dès lors que la maîtrise du premier correspond celle de l’autre. Une fixation anale/orale relève alors surtout d’une position de négation de l’ordre établit. C’est pourquoi je crois fermement que l’incontinence chez les vieux – certains vieux – est moins involontaire que volontaire. En se conchiant ils retournent au plaisir fondateur, initial et chargé d’interdit de leur enfance et c’est çA qui les rend muet de plus en plus. Mais ici, le plaisir est sans jouissance. Qu’il le devienne serait alors une autre histoire où la perversité n’aurait plus ce caractère polymorphe propre à l’enfant mais démence précoce, dégénérescence.

Bon. Il y a très longtemps, lorsque j’étais un petit gamin, disons de quatre ou cinq ans, nous habitions dans une vielle maison d’un quartier italien où presque tout dans l’immeuble était en bois. Cette précision est purement esthétique. Deux logements par étage et une chiotte commune pour quatre logements. On peut imaginer chez un enfant, les réticences qu’il doit y avoir à aller s’asseoir sur un trône glacé, surtout en hiver lorsque les températures descendaient jusqu’à moins vingt cinq au petit matin, s’asseoir sur un trône partagé avec le gros cul du voisin, avec celui de tous les autres. Certes, il y avait bien pot de chambre dans la chambre, pot partagé avec deux sœurs mais là, pas de problème. C’était uniquement pour le pipi. Mais lorsqu’il s’agissait du caca, alors là c’était une autre paire de manches ! Surtout si vous avez une mère totalement fanatique en matière de propreté ! Qui passait tout son temps à poutser la baraque ! Du soir au matin ! Qui était proprement hantée par la propreté de ses enfants et qui en avait un sur les trois qui se faisait comme un malin plaisir de chier dans son froc ! Assis là sur l’escalier, à deux pas des chiottes, préfèrent se faire dessus plutôt que là-dedans. Plutôt accepter un plaisir polymorphe qu’un déplaisir certain. Aussi, un jour qu’elle en avait sûrement marre et gros sur la patate ce qui était là aussi autant que je m’en souvienne quotidien, de rage elle me badigeonna la frimousse avec le torchon de merde qu’elle m’avait passé entre mes fesses merdiques. Plus tard, disons vingt ans après, chaque fois que je voulais dire chocolat, je disais ; bonjour madame, je voudrais une plaque de fromage. Mille fois ce lapsus, du fromage au lieu de chocolat. Décidément le chocolat avait trop la substance et la couleur de la merde tandis que le fromage bien qu’il fut aussi à base lait sinon maternel en tout cas de vache en avait au moins la couleur. Ma mère était vache et c’est peu dire. Bon, mais au bout d’une longue psychanalyse le fromage est du fromage et le chocolat du chocolat. Il n’en demeure pas moins que j’éprouve toujours autant de plaisir à chier qu’à raconter des histoires, à philosopher et à faire des phrases. Mais comme je le disais ce plaisir est toujours sans jouissance et je trouve cela réconfortant. Car le contraire serait inquiétant. Disons que qu’il n’y a pas loin entre merde et mère comme il n’y a pas loin entre le lieu qui nous met au monde et le cloaque et que fondant le symbolisme en quelque sort j’ai toujours pensé que l’attirance pour le sexe venait de notre attachement aux fonctions physiologiques qui leur sont assigné. « Là tu pisses et là tu chies » disait l’amant de Lady Chatterley, cet homme des bois dont était fait tout notre intérieur. Groddeck le dit plus clairement que moi. « La mère en personne donne à son enfant des leçons d’onanisme ; elle est obligée de le faire, car la Nature accumule l’ordures qui veut être lavée là où se trouvent les organes génitaux de la volupté ; elle est obligée de le faire, elle ne peut pas faire autrement. Et, vous pouvez m’en croire, une grande partie de ce que l’on décore du nom de propreté, l’empressement à se servir du bidet, des lavages après les évacuations, les irrigations ( ? irritations ?) ne sont rien d’autres qu’une répétition des voluptueuses leçons imposées par l’inconscient. »

Pour continuer je dois aller chez Julia Kristeva mais je n'arrive pas à mettre la main sur "Le pouvoir de l'horreur."

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