lundi, février 04, 2008

Monnaie de songe.

Il y a des jours comme ça. Dimanche soir je me suis payé une super tranche de télé. D’abord j’ai regardé un épisode de la série les experts. Je la regarde volontiers. Là, il s’agissait d’une bande de jeunes qui tabassaient violemment et sans raison des gens dans les rues de Vegas, la ville la plus débile du monde. A coups de pieds, de poings, sauvagement, juste parce qu’ils trouvaient ça drôle et puis ça ou autre chose qu’importe. Des hommes et des femmes qui avaient la malchance de se trouver là, au mauvais endroit et au mauvais moment comme on dit. A peu près au même instant, au Tessin, dans une ville qui se préparait au carnaval, trois jeunes d’origine croate, dans une rue sombre, tabassaient à mort une jeune étudiant zurichois. Il n’était pas encore mort que je regardait la suite de programme, un film vraiment très violent, Banlieue 13. Une banlieue enfermée dans un mur de béton, comme Israël, débarrassée des écoles, des commissariats, de toute institution, un immense ghetto abandonné par l’Etat aux mains de gangs ultra violents et armés jusqu’aux dents des armes les plus monstrueuses et sophistiquées maniées par des individus dénués de conscience hormis celle des drogues, du fric et du pouvoir de vie et de mort. Je ne raconte pas les aventures de deux « héros », un habitant du 13 sorti de prison pour donner un coup de main à un flic d’élite chargé de récupérer une bombe fauchée par un gang – mais pas si fauchée que ça vu que sans le savoir tandis qu’il est chargé de désamorcer la bombe, en fait il va la faire exploser parce que c’est là le but visé par les autorités. Pulvériser la banlieue 13, deux millions d’habitants, deux millions de « canailles », comme les instigateurs de cette tentative de crime de masse le disent.

J’avoue qu’au début, devant la violence et l’extrême brutalité des protagonistes, j’ai pensé – il faut liquider toute cette merde avec une bombe. Les exterminer. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à New York 1997, à oranges mécaniques et aussi et surtout « aux garçons sauvages » de William Burroughs, le livre le plus prémonitoire quant aux dérives de nos sociétés occidentales. Une dérive absolument fasciste bien qu’il soit plus politiquement correct de dire conservatrice, révolution ou rébellion conservatrice. On nous bassine encore avec une connotation du mal, le communisme, mais plus jamais avec cette évidence idéologico-politique du fascisme. Peut-être que nous ne pouvons plus nommer les conditions sociales et économiques du terme qui leur convient le mieux uniquement parce que nos sociétés sont de plus en plus en lieu des dénis les plus manifeste, au point que dimanche matin, sur le coup de dix heures quinze au JT de la 2 le présentateur a parler de « la lutte pour la pauvreté ». Il est un fait que toute l’action politique et économique se joue contre : contre l’égalité, contre la solidarité, contre la justice. Alors les lapsus entre le pour et le contre est bien le symptôme de la confusion qui règne dans le bocal de tout un chacun. Que c’est aussi cette confusion dont les plus démunis et les travailleurs sont victimes en premier qui les fait choisir lors d’élections non pas ceux qui luttent pour défendre leurs intérêts, mais pour ceux qui, tout au contraire, ne défendent que les intérêts d’une minorité riche et puissante. Je voulais me replonger dans « La psychologie des masses du fascisme » de Wilheim Reich, hélas je ne l’ai plus, j’ai dû le vendre un jour de dèche avec 1000 autres bouquins. Evidemment je suis bien conscient que le fascisme d’aujourd’hui est formellement différent que celui du début du XXe siècle, fondé sur la crise économique, la paupérisation et le nationalisme. Ces conditions matérielles et politiques sont naturellement toujours d’actualité. Ce qui est différent c’est que nous somme passé de sociétés fortement hiérarchisées, fortement normatives, à des sociétés « libertaires », individualisées, dérégulées, et soi-disant désidéologisées, en un mot comme en cent, dépolitisées. Nous sommes dans l’ « objectivisme » d’une Ayn Rand, qui écrivait dans la Vertu d’égoïsme, écrit en 1964 « Le principe social fondamental de l’éthique objectiviste est que chaque être humain vivant est une fin en lui-même, non le moyen pour les fins ou le bien-être des autres ».

Cela m'a fait penser à un passage du roman de Bret Easton Ellis, Luna park. Il décrit ainsi une publicité destinée aux enfant.

("Un sublime adolescent débraillé, les mains sur ses hanches de maigrichon, regardait la caméra avec un air de défi et faisait, d'une voix neutre, les déclaration suivantes, sous-titrées en rouge sang : " pourquoi tu n'es pas encore millionnaire?", suivi de "il n'y a rien d'autre que l'argent dans la vie", suivi de "Tu dois posséder une île à toi", suivie de "Tu ne devrais jamais dormie parce qu'on ne te donnera pas une seconde chance", suivie "C'est important d'être astucieux et attirant", suivie de, "Vien avec nous te faire un paquet de pognon", suivie de Si tu n'es pas riche, tu ne mérite pas mieux que d'être humilié", fin du spot publicitaire.)

Seulement cet individualisme anarco-capitaliste ne saurait être une simple illusion naissant par hasard dans le cerveau des individus. Il renvoie à des desseins, des valeurs et des moyens massifs qui ont toujours été déjà massivement socialisés. L’individu n’est jamais qu’une fiction dans le jeu d’un système mondial qui exclu ou inclus et les dénis ne pourraient être finalement que la forme collective du refoulement, dans un monde qui valorise la spontanéité et l’originalité alors qu’elles ne sont en réalité que des produits mis sur le marché des valeurs cognitives. Devant le mal – je n’ose dire absolu dans la mesure ou nous raisonnons souvent en fonction de la nature de nos affects – nous avons souvent des réactions similaires au mal, nous ne pensons qu’à exterminer les exterminateurs. Nous voulons punir, devenir des justiciers. Mais nous voulons la justice pour nous, qu’on nous rende justice à propos de n’importe quoi pourvu qu’on éprouve le sentiment d’avoir été payé même en monnaie de songe, pardon, en monnaie de singe. C’est pourquoi les riches ont encore de l’avenir et tant de singes à leurs bottes.

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